Sylvie Sarrazin
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Paysages avant l'image

la peinture de Sylvie Sarrazin



L’essentiel de l’art n’est pas d’imiter la nature, mais de mettre en œuvre, sous prétexte d’imitation, des éléments plastiques purs : mesures, directions, ornements, lumières, valeurs, couleurs, matières, répartis et organisés selon les injonctions des lois naturelles. Ce faisant, l’artiste ne cesse d’être tributaire de la nature, mais au lieu d’en imiter mesquinement les accidents, il en imite les lois…

…les manifestations plastiques naturelles : tourbillon de l’air et de l’eau, structures des coquillages ou des plantes, etc., renferment les plus beau dosages de ces éléments excitants et rassurants… Dés lors, l’art de dessiner et de peindre, tributaire de l’art de sentir, puise ses lois profondes dans la morphologie.

André Lhote, Treatise on Landscape



Dans sa rencontre avec la nature Sylvie Sarrazin retient et note des manifestations plastiques naturelles telles que des tourbillons de l’air et de l’eau, des reflets de la lumière, des frissons de l’eau et du vent ; elle s’inspire des instants dans lesquels les mouvements de la matière – terre, eau, air, lumière - se déclarent et nous apportent des sensations d’une nature qui se transforme et se métamorphose. Ce principe créateur de la nature devient le principal défi pour la peinture de Sylvie Sarrazin. Elle capte des tons et des couleurs, repère les structures et les écritures entre traits, dynamiques et arrêts. Dans ses peintures les éléments naturels et les signes culturels, les températures et les tempéraments, se suivent, s’opposent, se rejoignent et s’entrelacent comme dans une mappe monde. D’une toile à l’autre, des univers - des micro - et des macrocosmes - se forment et rendent perceptibles les lois profondes de la morphologie et des forces transformatrices de la métamorphose.



Dans ses « prises de notes » ainsi que dans ses photos ou ses petites bandes de vidéo, qu’elle enregistre pendant ses promenades dans la nature, Sylvie Sarrazin capte, isole et fixe les motifs au moment, où ils échappent à l’évidence et à la représentation. C’est dans cet espace des non-lieux sémantiques que se révèle la beauté du trait avant le dessin, de la touche avant la forme, et du teint avant la couleur. C’est là où se dessinent et se forment des paysages avant l’image. Dans l’instant, dans le fragment et dans l’élémentaire, et d’une toile à l’autre, tout « devenir » paraît inscrit et figé, tel dans une monade, tel dans un bourgeon.



Les toiles de Sylvie Sarrazin témoignent d’un flux du temps et des matières, comparable à la métaphore du « fleuve » du philosophe grec Héraclite : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. » L’eau coule toujours vers d’autres rivages.



Comme unité des forces contraires, le devenir et le figé (la constance) non seulement reflètent un principe fondamental de la connaissance, mais s’opposent et se complètent comme forces créatrices dans l’œuvre de Sylvie Sarrazin. Le spectateur est amené à franchir des seuils et à entrer dans un monde de passages, passages à travers la matière : matrices, maillages, tressages, traces et strates, épaisseurs du temps et de la matière. Les opacités s’opposent aux transparences, aux reflets et aux vibrations. Les seuils et les barrages nous arrêtent et nous invitent au même temps à les franchir ; ils suggèrent le passage vers un au-delà, où le secret et le sacré enferment la source du processus créatif.



Chaque tableau contient une syntaxe, dans laquelle se structurent et s’inversent les données. Le regard traverse les grilles du premier plan vers les profondeurs. Autres éléments et autres écritures forment de nouvelles strates, de nouveaux écrans et autres profondeurs qui mettent à distance les premiers plans ou le fond du tableau. Fond, milieu et premiers plans, le dessus et le dessous, fusionnent ou se séparent, dans des rythmes tantôt calmes, tantôt agités, suggérant un système nerveux et sensible, où – entre la polychromie et la monochromie, entre le froid et le chaud, le végétal et le minéral, le gel et l’éclosion - les pôles complémentaires et les tentions cherchent à s’apaiser ou au contraire à se polariser. Comme dans la peinture des romantiques modernes, le temps semble se colorer selon les saisons, les températures et les tempéraments des éléments de la nature : feu, eau, air, terre, - sans que pour autant l’artiste les imite.



L’horizontalité et la verticalité attribuent aux tableaux la qualité des paysage abstraits, dans lesquels sont constamment changés et intervertis les points de vue, les perspectives, les lieux et les espaces. Le spectateur se trouve à l’intérieur de l’extérieur et à l’extérieur de l’intérieur, il est dans la matière et s’élève au dessus d’elle par biais des changements de la perspective. Dans ces « Paysages avant l’image » Sylvie Sarrazin devient tributaire de la nature ; au lieu d’en imiter mesquinement les accidents, elle en imite les lois (A. Lhote). Comme la nature elle-même, l’artiste ne cesse s’inventer. Chaque toile est le fragment d’une syntaxe et d’une loi, où le sensible et l’intelligible invitent à un voyage dont le lieu d’arrivé s’appelle « création, transformation ».



Dans ces « Paysages » les différents genres artistiques - peinture, gravure, dessin, relief - concourent et s’entrelacent. Ils composent des partitions complexes, où tous les éléments sont modulés, rythmés et transposés en passant par des gammes mineurs et majeurs, par des intervalles, des accords harmoniques et/ou dissonants, simultanées et successives, où concourent fugues et symphonies.



Ce ne fut pas un geste si déraisonnable de la part des modernes que d’écouter la leçon des Africains et des Polynésiens, car les être primitifs qui vivent à même les formes naturelles, qui en épousent les rythmes, qui en ressentent physiquement les répercussions, trouvent spontanément les combinaisons des formes les plus littéralement vivantes. Les délégués des forces naturelles ont beaucoup à apprendre aux civilisés…

André Lhote, Treatise on Landscape



Sylvie Sarrazin engage un véritable travail de recherche sur le monde sensible des perceptions et des sensations qu’elle rencontre dans la nature. Elle trouve spontanément les combinaisons des formes naturelles les plus littéralement vivantes, suit ses formes, en épouse les rythmes, en ressent physiquement les répercussions, et elle nous les fait ressentir à travers sa peinture. Ces formes, rythmes et écritures naturelles non seulement sont des graphismes, des écritures, des sons et des coloris qu’elle trouve dans la nature, mais aussi ils sont inscrits et gravés en nous-même : inscriptions du temps et de la mémoire, matrices dans lesquelles les hommes ont laissé les empreintes de leurs gestes et de leurs échanges avec la matière. Sylvie Sarrazin travaille à la fois la matière et l’inscription de l’homme dans la matière. Couche par couche, étape par étape, et trace par trace, elle suggère la traversée des passages qui nous amènent jusqu’à l’essence, où se révèlent et se tissent les liens entre la nature et la culture.

En tant qu’empreintes, témoignages du temps et de son impacte sur la matière, les traces les signes, les sons et les tons surgissent à l’état brut et raffiné. Ils s’inscrivent dans la trame du temps et de la matière et l’organisent. Tous les composants – traces d’idéogrammes, de phonographes, de premières écritures de l’humanité, reliques des civilisations anciennes - fusionnent, se séparent, ou s’entrelacent avec des traces de la mémoire de l’âge moderne. En tant que « déléguée des forces naturelles », Sylvie Sarrazin traverse l’histoire de la peinture moderne : les Nymphéas de Monet, les écritures/mythologies de Twombly, les couleurs/espaces de Rothko, ses passages entre matière et transcendance… Comme dans l’histoire d’un fil invisible, des liens se tissent entre les choses et s’articulent dans la rencontre de l’originaire avec le contemporain, de l’éphémère avec l’éternel, des émotions avec la matière. Les inscriptions, les traces du temps, des échanges et des voyages, transforment chaque tableau en épitaphe qui renferme le secret du chef d’œuvre inconnu : le processus créatif.



Rosi Huhn, Art Historian and Art Critic



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Marc Sémof - Clarisse Coufourier : Agence influence et stratégie pour exposition l’Influence des anges avril 2017 - Paris